FLAASH CULTURE
01 | Livre — La nuit ravagée de Jean-Baptiste Del Amo
Un hommage au cinéma de genre des années 1970 et 1980 par un écrivain au style magnifique. 📚 Ouvrage à découvrir ici. Paru le 13 mars 2025 aux éditions Gallimard.
02 | Livre — Ubik de Philip K. Dick
La bible des mondes virtuels. 📚 Ouvrage à découvrir ici. Nouvelle traduction poche parue le 16 février 2022 aux éditions J’ai lu (parution originale : 1969).
03 | Série — The Wire de Joe Chappelle, Ernest R. Dickerson et Steve Shill
Série TV influente sur l'étude d'une ville/société de plusieurs points de vue et corporation. Mon modèle pour Metropolia, que l’on comprendra mieux dans le tome 02. 🎬 Diffusée sur HBO de 2002 à 2008. Disponible sur myCanal et Prime Video.
04 | Série — Adolescence de Stephen Graham et Jack Thorne
Une histoire actuelle de la culture de la violence masculine en 4 plans séquences virtuoses. 🎬 Sortie en mars 2025 et diffusée sur Netflix.
05 | Film — Mad Max: Fury Road de George Miller
De bruit et de fureur, la psychologie développée dans l'action sans temps mort, une performance d'écriture et de mise en scène. 🎞 Film de SF sorti en 2015, à découvrir ici.
FOCUS
Conversation avec Fred Duval, auteur de Metropolia, tome 1, paru le 11 avril aux éditions Dargaud et illustré par Ingo Römling. Propos recueillis par la rédaction.
1 — Le tome 1 de Metropolia se passe à Berlin à l’aube d’un nouveau siècle, en 2099. Annoncez-vous la fin d’un cycle et le début d’un autre ?
Oui. Sasha, le personnage principal, qui travaille pour le puissant consortium Metropolia, le dit en définissant au lecteur le monde nouveau : « le XXIIe siècle sera piétonnier ou ne sera pas ». C’est bien sûr une petite boutade en référence au XXIe siècle « spirituel » d’André Malraux, c’est aussi une manière de dire que la période des déplacements faciles et rapides s’est achevée. La question est fondamentale parce que la crise climatique, qui dans la réalité commence à nous cerner de toutes parts, débouchera forcément sur des changements de paradigmes. Ces derniers passeront par des tentatives d’adaptation et déboucheront sans doute sur des sociétés très coercitives quant aux réductions de consommation. L’électricité décarbonnée ne sera pas la solution miracle, le risque est de voir se creuser encore plus fortement le fossé entre les familles ou individus ultra riches et les classes moyennes. J’observe, à travers des projets comme Metropolia, Apogée ou Neoforest, les menaces d’émergence de régimes totalitaires.
2 — Sasha doit résoudre une affaire de meurtre qui l’amène à vivre au Florian, un immeuble des années 2030 abritant de nombreux locataires avec des baux leur donnant plus ou moins accès aux services liés. Toit-terrasse, salles de sport et loisir, nombreux étages : une référence futuriste à la Cité radieuse de Le Corbusier ?
J’aime regarder les projets et visiter les réalisations de Le Corbusier. Ses villas comme ses collectifs, bien entendu. Il est évident que son génie théorique a été totalement trahi par les promoteurs qui ont financé les constructions de collectifs à bas coûts, et demandé aux architectes « héritiers » de Le Corbusier de garder le collectif mais de négliger l’isolement sonore et la robustesse des matériaux, entre autres. Le Florian se veut une extrapolation 2.0 (l’IA domotique low cost et ses effets pervers) de ces dérives actuelles où, par manque de moyens et d’ambition, on voit pousser des bâtiments qui n’ont pas d’autre sens que la rentabilité et qui se dégradent vite. Nous en avons tous des exemples dans nos villes ou même dans nos villages.
3 — L’accès à l’ascenseur est limité à trois utilisations par semaine. Au delà, il est facturé. Demain, rien ne se perd, rien ne se crée, tout se paye ?
Oui, c’est un peu radical comme proposition, mais j’ai trouvé cette histoire d’ascenseur qui, normalement, symbolise la mutualisation d’un service au cœur d’un collectif assez symbolique. Comme une métaphore de la perte actuelle de nos services publics peu à peu remplacés par des services privés où chacun paye ce qu’il consomme et où la notion d’impôt qui finance les services publics, l’école, l’hôpital mais aussi l’armée et la police, est continuellement attaquée. Les contestations de la justice qui secouent depuis quelques années les démocraties libérales montrent que même ce pilier-là n’a aucune garantie de protection et de pérennisation.
4 — « Les voyages sont devenus un luxe. Les pas des habitants, une monnaie ». Après l’arnaque à la taxe carbone, celle de la marche à pied pourrait-elle être le nouveau casse du siècle ?
Oui, évidemment. Nous sommes dans une ambiance cyberpunk de polar urbain où le cynisme n’a pas de limite. Donc oui, on peut monter l’arnaque des pas perdus, sans états d’âme, comme on observe de nos jours des hackers mafieux qui rançonnent les hôpitaux.
5 — Quid de ceux qui n'ont pas ou plus l'opportunité de marcher ?
C’est une question qui revient souvent après la lecture du tome 1 de Metropolia. Pour moi, les paralysies et autres « handicaps » sont réduits et compensés par des exosquelettes. Je pense aussi qu’une part de social de façade peut inciter sans risque les sociétés les plus injustes à prendre encore en charge quelques cas. En 54 pages de ce tome 1, je n’ai pas abordé la question frontalement. Mais en effet, c’est aussi une manière de surligner la dystopie d’un monde où la marche et la bonne santé sont une manière de gagner mieux sa vie. Il est tout de même dit par Sasha en début d’histoire que des choix politiques ont été faits : « financer les piétons et surtaxer les transports. Le fric servait à loger et nourrir tout le monde. »
6 — Financer les piétons : est-ce la nouvelle logique politique à suivre ?
Cela, évidemment, ne suffira pas. Metropolia n’est pas vraiment une utopie, c’est un monde assez désespéré où la marche à pied est l’aboutissement d’une tentative d’adaptation de la consommation, tout en faisant le choix d’avoir encore des services, de la lumière à foison, des drones et un parc d’androïdes et de gynoïdes… Toutefois, oui, la marche à pied est un mode de vie qui mérite promotion car il apporte également à la santé préventive. Il faut travailler sur le temps. Jusqu’à quelle durée de temps de marche les gens estiment-ils que le geste est naturel et ne demande pas d’effort particulier ? Le financement des pas existe déjà. En fait, certaines applications l’utilisent, on peut avoir des abonnements gratuits à des options dans les applis sportives en fonctions des kilomètres parcourus et qui donnent des points.
7 — En parlant de financement, vous reprenez des codes cyberpunk dans votre BD et concevez Metropolia tel un puissant consortium qui maîtrise la ville. Les nôtres sont-elles de plus en plus à vendre ?
Les deniers publics étant de plus en plus rares et rationnés, on constate évidemment qu’il y a plus d’écoles privées ou de cliniques privées qui prennent corps que des établissements publics pour répondre aux demandes de formation et de soins. Les villes, souvent très endettées, n’ont parfois pas d’autres solutions que de se séparer de leurs terrains ou de leur foncier… Blade Runner proposait ce Los Angeles avec une image sombre, nocturne, héritée du polar. Metropolia, comme Renaissance, traite des mêmes enjeux mais sous un soleil radieux. J’aime beaucoup ce contraste : une histoire très sombre et pessimiste racontée sous des couleurs lumineuses et caniculaires.
8 — Autres codes cyberpunk : l’humain augmenté et le décor. L’IA prend même une forme humaine dans votre récit. Parallèlement, vous rappelez que « les IA n’ont jamais acquis d’autonomie » et que « derrière une machine dysfonctionnelle, il y a toujours un être humain ».
Dans les années 1990, j’ai construit des récits cyberpunk, Carmen Mc Callum et Travis et aussi Meteors où les IA Fortes étaient présentées comme autonomes. Ces récits s’inscrivaient, y compris au niveau du message environnemental, dans une sorte de « prévention », d’alerte sur les enjeux à venir : le réchauffement climatique et aussi la puissance des réseaux capables d’influer sur nos quotidiens, nos systèmes politiques. Trente ans plus tard, nous sommes au cœur de ces prédictions faites par les prospectives de la fin du XXe siècle. Nous sommes maintenant au temps de l’adaptation. Pour essayer d’y voir clair quant aux évolutions possibles, il est grand temps de rappeler que ces orientations, ou que ces refus de voir la réalité, ont été validées par les humains et que les machines n’y sont pour rien. Donc, oui, l’IA va avoir des débouchés extraordinaires mais représente aussi un défi sociétal dont nous devons débattre. Dernière un prompt, il y encore un être humain ou un collectif qui fait des choix. Une société qui par ses votes démocratiques porte des « protecteurs » autoritaires au pouvoir fait également des choix.
Image : couverture de Metropolia, Fred Duval, Ingo Römling.