Newsletter #36
Publié le
24 juin 2025
EXTRAIT
Communauté urbaine — Explorer. Reportage de Quentin Le Van à retrouver dans FLAASH N°07 (photographies : Pauline Gauer).
Comment construire un futur low-tech adapté aux enjeux climatiques et apte à créer des liens communautaires entre individus ? La question est vaste et ardue, mais la Biosphère Expérience, un fragment d’utopie de 26 mètres carrés localisé à Boulogne-Billancourt, a essayé d’y répondre fin 2024. Depuis, certains participants continuent d’explorer des rêves de lendemains durables. Entomophobes**, préparez-vous : les mouches soldats noires sont reines.
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Dans la torpeur du mois d’août 2024, l’ex-président de l’Indonésie Joko Wikodo inaugurait en grande pompe Nusantara, nouvelle capitale du pays et eco-smart city géante censée incarner le futur urbain à l’ère du changement climatique. Deux mois plus tard, en plein automne, SpaceX réussissait à récupérer sans dommage l’une de ses fusées à l’atterrissage, permettant à son patron Elon Musk de multiplier les promesses d’un futur civilisationnel vers le lointain spatial et l’au-delà. Des futurs imposants, fruit d’un imaginaire nourri par la science-fiction seventies et financés par les fonds d’investissement du monde entier.
Pendant ce temps, loin de ces spectaculaires prouesses high-tech, un petit fragment d’utopie prenait forme à Boulogne-Billancourt. Un idéal de 26 mètres carrés plus précisément, équipé d’une douche, d’une cuisine, d’un frigo écolo, d’un espace à coucher, de quelques champignons au mur et d’une poignée de panneaux solaires greffés au toit. Ici, l’avenir n’est ni une mégalopole dernier cri, ni un fuselage décoré par le logo d’une compagnie spatiale privée nord-américaine : c’est un modeste appartement teinté d’influences solarpunk. Nom de code : Biosphère Expérience.
Le principe ? Imaginer à l’échelle du quotidien un mode de vie zéro déchet et peu consommateur en eau. La mission est triple. Premièrement, atteindre les objectifs 2050 de l’ONU en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Deuxièmement, créer un mode de vie certes soutenable mais aussi désirable et accessible à tous. Troisièmement, penser les interactions sociales nécessaires à cet avenir et tâtonner ses perspectives communautaires.
Ainsi, de mi-juillet à mi-octobre 2024, les deux fondateurs du projet et autoproclamés « explorateurs de mode de vie » Corentin de Chatelperron et Caroline Pultz (dit Coco et Caro, et pas seulement pour les intimes) habitèrent dans ce cocon urbain barde de low-tech et alimente à l’énergie solaire, renseignant sur leurs réseaux sociaux leur expérience en temps réel et accueillant plumes et caméras des médias pour promouvoir leur vision du futur. Il faut dire que la Biosphère Expérience de Boulogne-Billancourt n’est pas une première pour Coco et Caro, au contraire. Moins tatonneurs amateurs qu’explorateurs confirmés, ce couple court depuis des années le monde entier à la recherche d’un futur soutenable.
LA QUETE AUX LOW-TECH
Le voyage ne nait pas en 2024, mais quinze ans plus tôt. En 2009, Corentin de Chatelperron finit son école d’ingénieur et se demande comment adapter les modes de vie contemporains à la réalité environnementale. Près d’une décennie avant le Covid et la remise à l’honneur du tourisme local, le natif de Vannes se lance dans l’écotourisme. Très vite, il souhaite aller plus loin et décide de s’engager dans une mission de volontariat. Sa destination : un chantier naval au Bangladesh. Sur place, l’ingénieur propose de remplacer la fibre de verre utilisée (matériau cher à importer et polluant à produire) par de la fibre de jute, improvise un laboratoire de recherche local et s’entoure d’autres diplômes motivés. Quatre ans plus tard, le Gold of Bengal est mis à l’eau, petit voilier intégralement composé de toile de composite de jute. À bord, Corentin de Chatelperron commence un périple de 6 mois dans le golfe du Bengale, et réfléchit en mer à son futur projet : le Low Tech Lab. « Ce qu’on appelle les low-tech, ce sont des technologies relativement simples et peu couteuses en ressources, et elles n’ont pas attendu ces dernières années pour exister, rapporte-t-il avec enthousiasme. Le but de ce programme de recherche, c’était de dénicher ces techniques dites low-tech dans le monde, pour les expérimenter et comprendre comment les déployer auprès d’une large population. »
L’aventure est prometteuse, et le Gold of Bengal ne suffit plus à ses ambitions. Accompagné de quelques collègues, Corentin de Chatelperron embarque en 2016 à bord d’un catamaran bien plus adapté, le Nomade des Mers. Un tour du monde de six ans s’entame, auquel Caroline Pultz se greffe en 2019 après une carrière d’architecte de formation. « Nous sommes passes par près de vingt-cinq pays, et avons récolté une cinquantaine de technologies < durables > interessantes », s’enthousiasme l’ingénieur globe-trotteur. Au Sri Lanka, ils découvrent un système déployé dans certains villages permettant de générer de l’énergie propre en pyrolysant certains déchets plastiques. Au Guatemala, ils apprennent une technique de filtration écologique de l’eau, par un mélange d’argile et de suie de bois. À Cuba, pays équipé d’une faible infrastructure numérique, ils observent un système d’Intranet permettant de connecter dix mille personnes sur un réseau local à bas cout.
En 2023, cette quête prend une autre tournure et commence à augurer l’expérience de Boulogne-Billancourt. En plein désert mexicain, Corentin de Chatelperron et Caroline Pultz installent une curieuse tente en matériau biosourcé et entament la nouvelle étape de leur projet : vivre 120 jours dans ce climat aride, avec pour seuls alliés l’énergie solaire, quelques cultures de champignons, d’algues et une poignée de technologies low-tech triées sur le volet. Baptisée « Biosphère du désert », et inspirée d’une précédente expérimentation conduite par Corentin en Thaïlande, cette mission s’équipe d’un dispositif conséquent. Nutritionnistes, architectes ou encore médecins interviennent en amont pour calibrer au mieux l’expérience, le tout avec des caméras qui enregistrent chaque minute. Un an plus tard, son récit est diffusé sur Arte par le biais d’une série documentaire***.
LE MAILLAGE SOCIAL
Très vite, le programme rencontre un franc succès, Coco et Caro deviennent des rockstars de la low-tech, et cette approche continue son lent débarquement dans les imaginaires contemporains et les rêves de lendemains durables. Mais la « Biosphère du désert » possède un angle mort, et pas n’importe lequel : imaginer des futurs n’implique pas de simplement fantasmer les technologies qui les composent. Quid de ses habitants, des individus contraints de vivre dans ces modèles de société croques sur quelques bouts de papier ? Il est l’heure pour la Biosphère Expérience d’entrer en scène. […]
** Personnes souffrant de la phobie ou peur extreme des insectes.
*** « Biosphère du désert », série documentaire en 5 épisodes de 20-30 minutes, disponible jusqu‘au 23 octobre 2026 sur Arte.
Retrouvez la suite du reportage sur www.flaash.fr et le reste des contenus dans FLAASH N°07.