LECTURES DE L'ÉTÉ
« Manger le futur par le menu », un article de Lila Meghraoua, journaliste culture & tech. À retrouver dans FLAASH N°01 - Surveillance de masse - Hiver 2023.
La science-fiction n’a cessé de fantasmer nos régimes alimentaires. Et elle a eu du flair. La preuve en 4 mets du turfu.
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En 2050, la planète comptera près de 10 milliards d’habitants. Un tribut qui s’annonce lourd. Selon l’Organisation des Nations unies, si l’on ne limite pas notre consommation, la production alimentaire devra augmenter de 73 %. Un chemin de croix, voire une impasse quand on sait qu’en plus de monopoliser 70 % des terres arables de la planète, l’élevage représente la deuxième source d’émission de gaz à effet de serre, soit 14,5 % des émissions totales. Un effet bœuf pour l’environnement !
50 % des émissions de méthane sont produites par la fermentation des ruminants, du lisier et du riz (utilisé pour l’alimentation animale) et 25 % des émissions de CO2 sont liées à la déforestation pour le soja, l’extension des pâtures, mais aussi à l’utilisation d’énergies fossiles pour alimenter les tracteurs. Le reste est dû aux engrais utilisés pour les cultures destinées à nourrir les animaux. Des chiffres qui donnent le vertige, mais qui ne traduisent pas tout le poids de notre consommation. Au total, l’industrie agroalimentaire consomme 70 % de l’eau potable chaque année.
Face à cela, nos modes alimentaires, notre manière de concevoir l’agriculture et l’industrie agroalimentaire vont devoir changer. Et en matière d’avenir, les imaginaires se révèlent être des terreaux très fertiles. Miroir, miroir, dis-moi ce que l’humanité mangera en 2050...
CULTIVER LA VIANDE EN LABO
Dans sa nouvelle Les cavernes d’acier, Isaac Asimov imagine en 1954 un monde où les gens s’alimentent selon leurs droits. Les denrées naturelles sont devenues un produit de luxe et les aliments de synthèse sont cultivés à partir de levures de culture. Près de soixante-dix ans plus tard, le rêve de l’auteur – ou le cauchemar, tout dépend d’où l’on se place – se réalise sur les paillasses du MIT du Moyen-Orient, le Technion à Haïfa en Israël. Le professeur Shulamit Leyenberg, chercheuse spécialisée dans l’ingénierie tissulaire, est parvenue à cultiver une viande animale, sans sacrifier aucun animal. Le laboratoire abrite des imprimantes 3D, en mesure de reproduire les cellules et les biomatériaux utiles pour développer la viande. La startup Aleph Farms, fondée par le franco-israelien Didier Toubia, s’apprête à commercialiser les produits issus des machines du professeur Levenberg : de juteuses lamelles de bœuf. D’après Bloomberg, le marché des substituts aux protéines animales (viande et lait confondus) est aujourd’hui supérieur à 26 milliards d’euros. D’ici 2030, il pourrait même dépasser les 140 milliards.
Reste à savoir si la promesse parviendra à séduire les indécrottables carnivores. Pour les autres – écolos – pour l’heure, on ignore si cette technologie est tout à fait durable. Une étude récente publiée en avril 2023 par des chercheurs de l’université de Californie douche les espoirs. D’après eux, elle serait pire écologiquement parlant que le bœuf vendu au détail. De quoi faire réfléchir.
VOUS REPRENDREZ BIEN UN PEU DE SCARABÉE ?
Si la célèbre bande-dessinée de Jean-Marc Rochette et Jacques Lob, Le Transperceneige projette en 1984 la fabrication par une bactérie d’une viande à partir de molécules captées dans l’air, son adaptation cinématographique Snowpiercer par le réalisateur sud-coréen Bong Joon-Ho met en scène des barres de protéines à base d’insectes. Une fantaisie ? Pas si sûr.
Pour un kilo d’aliments produits, comparés aux bœufs, les insectes représentent une division par cinq des émissions des gaz à effet de serre, pour un apport nutritionnel en protéines équivalent aux viandes. Autre atout des insectes : ils demandent peu de terre, contrairement à la culture extensive du soja.
17 mètres de hauteur habités par 3 milliards de vers de farine... Un film de David Cronenberg ? Non, l’entreprise Ynsect. Cette startup francaise est considérée comme le leader mondial de son secteur. Son commerce ? La production d’insectes. À Dole prospère ainsi la plus grande « fermilière » du monde, une usine d’animaux.
Les insectes produits par l’entreprise n’atterrissent pas encore tout à fait dans nos gosiers puisqu’ils sont destinés a l’alimentation d’animaux d’élevage. Ca ne saurait toutefois tarder : criquets et larves viennent de rejoindre la liste des aliments autorisés à la consommation humaine par l’Union européenne.
« BROCOLI-VEAU-PUDDING OU FRITES-BURGER-COCA ? »
« Un jour viendra où chacun emportera pour se nourrir sa petite tablette azotée, sa petite motte de matière grasse, son petit morceau de fécule ou de sucre, son petit flacon d’épices aromatiques, accommodés à son gout personnel ; tout cela fabriqué économiquement et en quantités inépuisables par nos usines. [...] L’homme gagnera en douceur et en moralité, parce qu’il cessera de vivre par le carnage et la destruction des créatures vivantes. » Ces propos ont été tenus par le chimiste Marcellin Berthelot au banquet de la Chambre syndicale des Produits chimiques en 1894. Le scientifique prédit là un mode alimentaire nouveau, le repas contenu dans une pilule. Sans surprise, les pilules alimentaires ont inspiré bien des artistes.
L’amour en l’an 2000 de David Butler imagine en 1930 un New York où les numéros remplacent les prenoms, les mariages sont gérés par l’État et les repas sont pris sous forme de pilules. Dans une scène hilarante, le héros se voit offrir une pilule qui a le goût de palourdes, de rôti, d’asperges, de tarte aux pommes et de cafe. « Le bœuf était un peu rude », commente l’homme.
Dans le mythique Soleil vert (1973) de Richard Fleischer, les ressources naturelles se sont taries. Un pot de confiture de fraise coûte la bagatelle de 150 dollars et deux tomates, un fenouil et quelques feuilles de salade, 280 dollars. La grande majorité de la population doit se contenter de plaquettes vertes, le Soylent Green, aux origines douteuses. Nous sommes encore loin d’un repas pris en une pilule. Un adulte a besoin en moyenne de 2 000 calories par jour. Pour combler ses besoins nutritifs et caloriques, il devrait consommer... 450 pilules.
L’entrepreneur et chercheur Dan McGuire s’est essayé à ce regime alimentaire. À la suite de problèmes de santé, il prend beaucoup de poids et gagne, ce faisant, du cholestérol, de la tension et un prédiabète. Pour tout repas, il décide de consommer des pilules pendant trois mois. Huit repas par jour, composés de 50 gélules avec un apport nutritionnel suffisant. Oui, il consomme chaque jour 400 pilules. En trois mois, il perd 30 kilos. Depuis, l’entrepreneur a commercialisé une cure, le Food Pill Diet. Une cure de trois semaines vous coûtera... 350 dollars. L’histoire ne raconte pas si ce régime aurait convenu à un patient atteint de troubles alimentaires.
IMPRIME-MOI UN STEAK
Dans le futur imaginé par Terry Gilliam avec Brazil (1985), les plats se commandent par numéros, et non plus par noms. La présentation ne varie pas : des tas d’une bouillie informe surmontés d’une étiquette où figure l’image du plat. À peu près à la même époque, Retour vers le futur 2 (1989) anticipe une machine qui réhydrate des micro-aliments. « Maman, tu es la meilleure pour hydrater une pizza », se réjouit un enfant. Quelques secondes auparavant, une pizza de poche a été glissée dans la machine.
En Australie, l’université Ewan Cowan a conçu une imprimante 3D, capable de reproduire un repas concu par la cheffe Amanda Orchard. Certes le résultat – une purée verte – n’est pas très appétissant, mais le repas contient tous les ingrédients d’une frittata d’épinards : œufs, ricotta, féta, oignons et ail. En Allemagne, ce type d’alimentation a été introduit dans 1 000 maisons de retraite. L’imprimante 3D peut en effet agir sur la texture de la nourriture, ce qui se révèle utile pour les personnes qui souffrent de difficulté à mâcher ou à avaler. Demain, nos régimes alimentaires seront-ils donc principalement liquides, sous forme de gélules ou composés d’ingrédients cultivés en laboratoire ? L’avenir nous le dira.