L’INVITÉE — CHLOÉ CHARLES
Propos recueillis par Estelle Augat. Photographies : Sarah Witt. Entretien complet à lire dans FLAASH N°09 disponible à la commande ici.
« Manger c’est voter, payer c’est voter ». Sur cette base, quel programme de campagne culinaire aurait-on envie de suivre ? Nous, celui de Chloé Charles, cheffe engagée dans une cuisine antigaspi, saine et durable qui se bat chaque jour pour tout ce qui se passe autour et dans l’assiette. Médiatisée depuis quelques années, notamment après un passage remarqué dans l’émission Top Chef, Chloé Charles titille nos papilles autant que nos esprits, en évoquant de manière franche mais raisonnée les grands sujets liés à l’alimentation d’aujourd’hui et de demain : le gaspillage alimentaire, l’accès au bio, le dérèglement climatique et son impact sur notre agriculture, le bien manger… Entourée de ses épices et de ses couteaux, elle nous reçoit aux petits oignons dans son propre restaurant privé Lago, pour une conversation qui a de la patate.
1 — Cheffe militante, cheffe engagée, cheffe écoresponsable. Les qualificatifs ne manquent pas. Mais reprenons d’abord votre métier par le menu. C’est quoi être une cheffe comme vous en 2025 ?
Je me pose beaucoup de questions car je n’ai pas envie d’être une cheffe qui ne réfléchit pas à tout ce qui se passe. On fait un métier très répétitif et, même si les saisons nous font appréhender différents produits, nos gestes restent tous les jours un peu les mêmes. Je n’ai pas envie de travailler uniquement par automatisme et je pense qu’il y a des interrogations à avoir sur la manière dont on organise nos équipes ou sur les modèles économiques de nos restaurants, par exemple. Tous les médias m’interpellent principalement sur ma cuisine, mais aujourd’hui, elle ne représente plus que 25 % à 30 % de mon temps. Être une cheffe engagée ne passe pas uniquement par les matières premières et les fournisseurs. Mieux traiter la carotte que l’on a achetée que le personnel que l’on a embauché n’a pas de sens. Être engagé, c’est aussi ça : rémunérer convenablement ses collaborateurs, se rémunérer soi-même, gérer la rentabilité de son entreprise… Malheureusement, beaucoup pensent encore que, parce que vous êtes engagé et dans une démarche écoresponsable, vous pouvez accepter de faire des choses gratuitement.
2 — Et dans 10 ans ?
Dans 10 ans, je ne sais pas si les choses iront mieux, car je pense en effet que l’on n’a pas pris le bon chemin, notamment sur le gaspillage alimentaire. On est allés trop vite, trop fort. On a dégouté un bon nombre de personnes sur la notion d’engagement et sur la démarche écoresponsable. Et je m’inclus dedans. Comme d’autres, je me suis complètement plantée dans mes débuts médiatiques en parlant du gaspillage alimentaire et en disant : « Cuisinez vos côtes de chou-fleur, faites des huiles de vert de poireau ». En argumentant ainsi, on faisait comprendre aux ménages que, s’ils voulaient éviter le gaspillage alimentaire, il fallait cuisiner 100 % du produit. Autrement dit : être antigaspi, c’était juste manger des sous-parties. Mais c’était oublier tous ceux qui n’ont pas le temps, pas la connaissance ou pas l’envie de cuisiner (voire les trois en même temps). Je suis donc revenue à un discours plus modéré, où je rappelle que le but du jeu, c’est avant tout d’essayer de remettre la cuisine au centre et de manger des produits sains et frais plutôt que transformés.
3 — En France, le gaspillage alimentaire représente 9,4 millions de tonnes de déchets, dont 4 millions encore comestibles (en 2022)**. Faisons-nous chou blanc sur le sujet ?
Si je reprends mon chou-fleur, au lieu de l’acheter surgelé, essayons déjà de faire attention à la provenance du produit (France si possible, sinon pays limitrophes) et de le cuisiner à la maison. Et tant pis si l’on jette les côtes de chou-fleur. En revanche, oui, mangeons tous les yaourts que l’on a achetés, évitons de faire de grosses quantités puis des tonnes de restes qui finiront certainement à la poubelle, et pour les chefs, arrêtons de nous demander de proposer des recettes antigaspi type pancakes de fanes de carottes qui ne sont pas bonnes et qui dégoutent tout le monde. Demandons déjà à nos proches, lorsque que l’on cuisine, s’ils ont faim, pas très faim ou très faim. La juste dose, c’est un début de fin de gaspillage alimentaire. La fin de la culpabilisation, c’est essentiel aussi. Mais il faut que cette déculpabilisation soit faite dans le bon sens. Quand je pense à Too Good To Go, l’initiative de cette appli antigaspi est super à la base, mais elle a aussi créé une deuxième industrie qui fait volontairement des restes pour pouvoir revendre à Too Good To Go et se déculpabiliser d’avoir jeté des choses à la poubelle. Là, c’est non. Alors oui, les choses vont mettre du temps à changer, le gaspillage ne va pas disparaître du jour au lendemain, mais la prise de conscience est déjà un pas en soi.
4 — Mais n’est-il pas plus facile de retrousser ses manches dans un restaurant qu’à la maison ?
Bien sûr que si. Toujours avec le même cheminement, c’est bien plus facile de faire un velouté de fanes de radis quand une cheffe a 8 à 10 heures par jour dédiées à cela, dix bottes de radis fraiches et 40 personnes prêtes à manger son velouté. À la maison, je n’utilise pas 100 % des produits tout le temps. Comme tout le monde, je compose avec ma propre situation. J’ai deux enfants, un boulot prenant, une charge mentale astronomique et je fais le marché le dimanche pour parfois consommer mes radis une semaine après. Oui, ma botte ne ressemble plus à rien. Oui, je vais jeter mes fanes et je n’ai pas à culpabiliser, car j’ai quand même consommé des radis achetés en direct producteur. Non, je ne suis pas une mauvaise mère parce que je n’ai pas préparé tous les petits pots moi-même pour la diversification. Chacun fait ce qu’il peut et on doit aller vers le mieux petits pas par petits pas.
**Infographie « Le gaspillage alimentaire » du ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire (publiée le 09 octobre 2024, consultée le 25 septembre 2025).
La suite de l’entretien est à retrouver dans FLAASH N°09 — Terroir futur, disponible ici.
LES RECOS DE LA RÉDACTION - SÉLECTION SPÉCIALE MIAM MIAM
Les descriptions figurant ci-après sont exceptionnellement celles des ouvrages ou de leurs éditeurs.
1 — ESSAI. Passer à table. Ce que l’acte de manger dit de nous, Émilie Laystary (Divergences, 2025). Quotidien et universel, l'acte de manger est autant un besoin physiologique qu'un geste culturel. « Dis-moi ce que tu manges, je te dirai ce que tu es » : en 1825, la mythique phrase du gastrosophe Jean Anthelme Brillat-Savarin croque l'importance des habitudes alimentaires dans nos manières d'être. Que reste-t-il de ces liens entre ce que nous ingérons et ce que nous sommes ? Alors que les discours sur l'alimentation sont dominés par une culture légitime, donneuse de leçons et garante du bon goût, ce livre propose un autre menu. Décentrer, décoloniser et dégenrer la nourriture : l'heure est venue de secouer la nappe et faire de l'assiette une loupe idéale pour saisir nos identités plurielles. 📚 À découvrir ici.
2 — BD & RECETTES. Les 4 saisons du vin, Alessandra Fottorino, Céline Pernot-Burlet (Hachette vins, 2024). Après le succès de leur premier roman graphique In Vino Femina, Alessandra et Céline ont eu envie d’aller plus loin, de dire plus, de s’interroger sur l’humain derrière le vin, sur le dérèglement climatique et son impact sur la vigne et son environnement, sur le travail dans le chai et nos modes de consommation, sur ce qu’il se passe dans notre assiette. Qui fait quoi, comment et pourquoi, au fil des saisons ? Dans ce nouvel opus, elles nous amènent passer une année dans la vigne pour mieux comprendre cet univers et les gens qui le font vivre. 📚 À découvrir ici.
3 — LIVRE DE RECETTES. Recettes pour 1. Cuisiner pour soi, Elvira Masson (Seuil, 2025). Les livres de cuisine proposent habituellement des recettes conçues pour 4 à 6 personnes, excluant ainsi toutes les situations où l’on pourrait être seul.e chez soi, et toute une partie de la population. Or, on peut se régaler en cuisinant pour soi, se préparer des plats réputés familiaux, agrémenter une simple assiette ou des œufs pour les transformer en festin. 📚 À découvrir ici.
4 — LIVRE. Faire son pain, Farah Keram (Ulmer, 2023). Miches au levain naturel, baguettes de tradition, galettes nord-africaines à base de semoule : ce livre se destine à celles et ceux à qui la boulangerie à la maison fait de l'oeil. Qu'y a t-il de plus enveloppant que le pain ? De plus généreux que de pétrir chez soi, de voir son pain lever, puis de le cuire avant de le partager ? Avec sa vision décomplexée du pain et son engagement pour les produits du terroir, Farah Keram invite le lecteur à goûter aux joies de la panification maison. Ici, le voyage prend une forme ludique, informative et méditative. Car panifier à la maison, c'est avant tout renouer avec le vivant. Prêt(e)s ? 📚 À découvrir ici.